Semencièr-e-x-s

Nous reproduisons des textes de l’exposition « Semenciers, semencières – Au Nord et au Sud, un artisanat du vivant » car ils expliquent bien les enjeux de la production de semences. Vous retrouverez l’intégralité des textes et des photos sur le site de l’exposition

Comment la diversité cultivée a-t-elle été créée par les paysans et paysannes?

Sauvages ou cultivées, les plantes de la même espèce se croisent entre elles. Chaque croisement donne une plante particulière, dont l’existence dépend de sa capacité à survivre sur le terrain où elle pousse. Ainsi, à partir d’une même plante vont se développer nombre de nouvelles formes adaptées aux milieux les plus divers.

Ces phénomènes naturels ont petit à petit été accompagnés par les paysans et paysannes, qui traditionnellement choisissent de récolter les graines des plantes qui correspondent le mieux à leurs objectifs.

En opérant ces choix année après année, en provoquant des croisements entre variétés plus ou moins éloignées ou en laissant les croisements se faire dans leur champ, en échangeant leurs graines, les paysans et paysannes accompagnent la transformation des plantes. Elles sont alors adaptées à la région géographique, au type de sol, au climat, à la culture locale et au goût des habitants et habitantes. 

Voilà ce qui a mené à la diversité des plantes cultivées que nous connaissons. Cette diversité est une “assurance” pour l’alimentation de l’humanité si une maladie, un ravageur ou un évènement climatique nuisait à la croissance d’une culture en particulier.

Or, selon la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture), sur plus de 6’000 plantes cultivées dans l’histoire à des fins alimentaires, seules 200 contribuent aujourd’hui de manière substantielle à garnir nos assiettes. Et seulement 9 d’entre elles représentent les 2/3 de la production agricole totale : la betterave, le blé, la canne à sucre, le maïs, le manioc, le palmier à huile, la pomme de terre, le riz et le soja.

Comment cette diversité s’est-elle perdue en 100 ans?

Dès les années 1950, l’agriculture a été profondément transformée pour répondre aux besoins d’une population mondiale en forte augmentation, de plus en plus urbaine et qui sort d’une période de grande privation avec la guerre. Cet élan productiviste va passer par la mécanisation, l’irrigation massive, les engrais et les produits phytosanitaires (engrais, pesticides). Une restructuration agricole, avec des fermes de plus en plus grandes, a aussi permis d’industrialiser le secteur.

Parce que l’industrialisation a besoin d’éléments prévisibles, les États vont accompagner cette métamorphose du monde paysan en émettant des directives de standardisation. Ainsi, de même que les modèles de tracteurs ou les produits phytosanitaires sont standardisés, il faut que les plantes aussi soient massivement identiques et non pas différentes chez chaque paysan et paysanne et encore moins variables au sein du même champ. Les États ont donc créé des catalogues de variétés. Pour pouvoir inscrire une variété dans ces catalogues, le producteur doit prouver qu’elle est uniforme et stable, que toutes les graines sont pareilles (voir encadré n°1). Elles vont ainsi pouvoir répondre aux exigences de l’industrie alimentaire et du commerce de détail (forme, goût, calibrage pour le transport et l’empaquetage, … ). Cela élimine de fait les variétés paysannes.

Comment de nombreux paysans et paysannes sont devenus dépendant·es de l’industrie?

De plus, la mise au point de semences d’un type nouveau va changer la donne : les semences de type “hybride F1” (voir encadré n°2). Les plantes qui en résultent sont quasiment des clones. Ces semences ont également une particularité qui va intéresser l’industrie privée et saper l’autonomie paysanne: elles ne reproduisent pas les caractéristiques des plantes sur lesquelles elles ont été récoltées. Pour que leur récolte continue de répondre aux critères fixés par la grande distribution, les paysans et paysannes sont donc obligés de racheter des graines chaque année ! 

Cette dépendance est renforcée par la reconnaissance de droits de propriété intellectuelle sur les semences accordés à l’industrie au cours du 20ème siècle. Ces droits de propriété intellectuelle impliquent que les paysans et paysannes s’exposent à des sanctions civiles et, dans certains pays, même pénales, pour avoir conservé, réutilisé et échangé des semences conservées à la ferme.

Tant que les paysans et paysannes pouvaient replanter les graines cultivées, le marché des semences n’intéressait guère les entreprises privées. Au début des années 1980, des firmes multinationales actives dans la production d’engrais et de pesticides chimiques se sont mises à acheter les unes après les autres toutes les entreprises de production de semences, acquérant ainsi un monopole sur ce marché. Les plantes qu’elles proposent ont besoin des produits chimiques produits par ces entreprises. Les agriculteurs et agricultrices se voient proposer un forfait “semences + engrais + pesticides”. Ils vont donc devenir de plus en plus dépendants de ces firmes, alors que ces dernières vont voir leurs bénéfices s’accroître.